Qui dit camp de vacances dit assurément tours pendables. Et notre camp a une longue tradition en ce domaine. Il reste effectivement un des lieux de prédilection des esprits malicieux pour inventer des situations cocasses, jouer des tours longuement mijotés, et satisfaire leur besoin de rire un peu des uns et des autres. Évidemment, les premières victimes de ces farceurs impénitents sont souvent les campeurs, jeunes et naïfs. Parallèlement, les coquins s’organisent aussi de véritables commandos, entre adultes, pour surprendre d’autres moniteurs et leur groupe.
Ainsi, sans créer un climat d’anxiété constant, les jeunes campeurs sont-ils sensibilisés à l’idée de devoir être, un jour peut-être, le dindon de la farce et que le ridicule, en aucun moment, ne tue celui qui sait en rire.
Plus subtils et plus rares sont ceux qui osent s’attaquer aux membres de l’administration du camp de vacances. Évidemment, ceux-ci sont les vrais adultes du camp, la figure parentale, et les jeunes, moniteurs ou campeurs, se gardent parfois de leur déplaire et n’osent pas s’en moquer gentiment. À l’exception de quelques téméraires qui, je dois l’avouer, ont toute ma sympathie pour avoir joué un tour, non pas à un quelconque membre de l’administration, mais bien à son directeur général, le plus aimé et respecté des directeurs généraux de camp…
Laissez-moi vous raconter ce superbe montage…
C’était par une nuit claire d’été, de celles où on tarde à se coucher tellement la douceur invite à veiller près du feu…
Julien, Guillaume et Étienne (ou c’était peut-être Charles…) (prénoms pas si fictifs…) se racontent des histoires connues par cœur. Pour ces jeunes moniteurs, les heures de milieu de nuit sont souvent les seules qu’ils peuvent savourer sans la présence envahissante des campeurs. Ce sont les heures de confidences, de défoulement, de questionnement. Les heures de folies adultes
aussi, de fous rires entre amis du même âge, les heures de relâchement et celles nécessaires, surtout, pour manigancer leurs tours de malice.
Ce soir-là, ils désignèrent François, le directeur général du camp, comme victime.
François est leur directeur depuis des lustres. À croire qu’il a passé sa vie au camp, à regarder passer les enfants et les ados qui lui sont confiés, été après été. À les voir vieillir et grandir et partir, tandis que lui reste là. Ancré, fidèle, immuable. Les deux pieds sur terre et le chapeau Indiana Jones sur ses yeux délavés de soleil. Il est, pour les trois gars et pour tous ceux qui connaissent le camp, la personnification de la sagesse, de la réflexion et du self-control. Bien peu peuvent se vanter d’être venus à bout de sa patience, et encore plus rares sont les témoins de sa colère…
C’est un homme de traditions, de valeurs et de principes. Un bloc d’humanité. Directeur de l’inconscience adolescente. Redresseur de jeunes mal alignés. Ramancheur d’enfance disloquée. Idéaliste intense à feu qui couve. Un rêveur en chef. À fleur d’eau, de peau, de cœur et d’âme.
Ce gars a tout vu des ados, tout entendu, tout deviné. Il a appris à les lire, à les déchiffrer et les connait mieux que lui-même. Par amour de la jeunesse, et par foi en elle, depuis toujours et pour longtemps, il consacre une grande partie de sa vie, et son talent tout entier, au fonctionnement harmonieux et à la mission éducative de son camp.
Ce soir-là, donc, François, walkie-talkie à portée de main et sens en alerte, dormait presque paisiblement sa trop courte nuit…
Installés sur la plage déserte, ils enfilent les immenses câbles dans les œillets avant et arrière. Puis, chacun de leur côté, Julien et Étienne marchent à l’opposé, le plus haut vers le belvédère qui surplombe le lac pour Julien et le plus loin sur la rive pour Étienne. Plus les gars avancent, plus les câbles s’étendent. Guillaume, resté sur le quai, guide les cordages vers les hauteurs et vers le large. Quand ils flottent à une hauteur jugée acceptable par nos trois compères, ils les tendent le plus rigidement possible et les attachent solidement chacun au tronc d’un arbre. Satisfaits de leurs efforts, sourire aux lèvres, les trois moniteurs rejoignent leurs huttes respectives et leurs campeurs endormis.
Au lever du jour et du corps, François entre à la cafétéria, choisit un muffin, se coule un chocolat chaud et rejoint le belvédère qui surplombe la baie.
Capitaine à la barre d’un navire qui mouille aux berges du lac Long, il aime particulièrement ce point de vue qui lui offre un large panorama sur le réveil de son équipage.
Mais ce matin-là, haut dans les airs, devant ses yeux couleur de rivière, un canot s’envole au-dessus des eaux. On dirait la chasse-galerie, sans la chasse ou sans la galerie, c’est selon…, et sans le diable et les bûcherons, il va s’en dire !
Seulement un canot, qui vole sans retenue dans la lumière du matin…
Photo : Véronique Gosselin
Et, sur fond de ciel azuré, François, pantois, muffin dans une main et chocolat chaud dans l’autre…
L’image est parfaite.
Double victoire, de mémoire de campeur, jamais le directeur n’est-il resté muet si longtemps… bouche bée !
Alors, de la rive opposée, s’élèvent des gloussements de fierté et Julien, Guillaume et Étienne (ou était-ce Charles ?) unissent leurs voix pour un retentissant : « BON MATIN, FRANÇOIS… »
Et François, et le camp tout entier, pouffent de rire.
France