Il y a certains moments où on ne ressent que du bonheur et on ne peut se l’expliquer ni comprendre pourquoi. Ce sont dans ces instants où l’on se penche sur notre identité, et qu’on jette un regard critique et extérieur sur notre personne. Pour moi, ce moment spécial s’est traduit par le bruit de la rivière et l’air frais et pur d’un matin brumeux. 

C’est à des kilomètres et des kilomètres de civilisation que mes compagnes de voyage et moi-même sommes transportées, sur les abords de la rivière Ashuapmushuan, un mardi matin. Les barils nous servant de seul bagage et les canots prêts pour cette aventure, je jette un coup d’oeil à la rivière qui défile devant moi avec son courant d’eau douce et ses rapides vagabonds. C’est un matin doux, où le soleil tente laborieusement de percer la brume épaisse qui recouvre les flots. Les géants aux épines qui se dressent hauts et grands à mes côtés saluent mon passage, alors que je m’active à remplir mon canot de mes effets personnels. Cela nous prendra douze jours pour descendre l’affluent qui nous mènera vers notre destination finale, le Lac Saint-Jean. 

J’avironne en harmonie avec les oiseaux, mon aviron fouettant l’eau avec force à chaque poussée et je respire l’air frais, le laissant pénétrer mes poumons afin qu’il les remplisse de pureté. Le soleil, maintenant bien perché au-dessus de nos têtes, éclaire notre trace et brille sur notre peau. Il gouverne un royaume de simplicité, où ses principaux fidèles qu’on appelle communément les animaux et les plantes s’animent dans les bois avoisinants, observant notre venue et continuant leur chemin, peu intéressés. J’ai la tête légère et le sourire aux lèvres d’être dans un si bel endroit. 

J’entends des voix me crier quelque chose, je lève les yeux vers l’aval et ils s’illuminent. Je perçois des bruits qui me confirment que ma vision était bonne. Le temps est venu: notre premier rapide de l’expédition est enfin arrivé. Mon coeur s’emballe, je suis exaltée. Sans plus attendre, la première vague frappe la coque de mon embarcation et nous nous dirigeons de peine et de misère à travers les roches pointues et les courants tourbillonnants. Je n’entends plus rien, seulement le son des flots qui frappent mon canot et l’adrénaline qui chante dans mes oreilles. Alerte, je dirige mon canot dans la bonne ligne et je montre, par la même occasion, la ligne sécuritaire pour les cinq canots à la file indienne derrière moi. Se laisser porter par les vagues, rebondir, voler! Trop tôt, mon canot s’immobilise sur la rive et je regarde ma compagne de canot la tête haute et fière. 

Je respire au rythme des dizaines de cris des criquets qui nous entourent, en cette nuit fraîche et sombre. Les tentes se dressent fièrement dans l’ombre des arbres éclairés par la pleine lune et le feu crépite en faisant virevolter des dizaines de tisons rougeâtres dans la nuit. J’observe le spectacle qui défile sous mes yeux; le va et vient des préparatifs pour la nuit, les arbres qui se dandinent sous les souffles de mère nature, les étoiles qui tapissent le ciel d’une toile à couper le souffle, le ronronnement de la rivière qui coule à quelques mètres de notre campement. Cependant, ce qui rend cet instant d’autant plus merveilleux, ce sont les rires et les visages heureux de mes compagnes, éclairées par la faible lumière du feu. C’est ici, au beau milieu de nulle part, que je peux m’exprimer librement et être moi-même, le coeur léger et les soucis enfouis bien loin sous les couvertures de mon lit à Québec. Ici, c’est le moment présent qui compte et qui nous unies, toutes ensemble. C’est à cet instant que je réalise pourquoi je suis ici, que tout se place dans ma tête et que le dernier morceau du casse-tête qu’est ma vie se pose. Je connais la raison de mon existence, la raison qui me pousse à être qui je suis sur cette grande planète bleue. J’ai été envoyée ici pour vivre dans la nature, pour descendre les rivières et ouvrir tous mes sens au monde immense qui se trouve à quelques kilomètres de nos villes. Aujourd’hui, les gens sont tellement concentrés sur l’argent, que plus personne ne prend le temps de vivre, d’apprécier l’existence à son état naturel et pure, de sourire ou même de rire. Leur vie se résume en une course contre la montre et personne n’ouvre les yeux aux forêts chantantes, aux rivières vivantes. Je me rends compte à quel point je suis privilégiée, choyée d’être là, entourée de nature fraîche et d’une paix sereine et douce qui chante mielleusement dans mes oreilles. La nature qui m’entoure symbolise pour moi un retour aux sources, un retour aux racines de la vie, à la base, à l’essentiel. Empreinte d’une beauté sans égal, elle nous rappelle à quel point la vie vaut la peine d’être vécue. 

C’est le moment où tout a changé en moi, où la forêt environnante m’a rassurée sur le fait que tous mes problèmes semblaient si banals, si petits dans cette immensité de splendeur qu’est notre planète bleue. C’est mon lieu de paix, où j’apprends à apprécier chaque détail, chaque moment, chaque sourire. La rivière fait partie de moi, la nature m’habite, j’ai enfin trouvé ma place dans ce monde suffocant.

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Gabrielle Paquet
Campeuse